Commentaire : Lorsque Jean Rollin sort un nouveau film, c'est un événement… Surtout lorsque l'on ne s'y attendait pas, comme c’était le cas à la rédaction ! Les nombreux obstacles, celui de monter une telle production dans le morne paysage cinématographique français, ceux dus aux ennuis de santé de notre ami réalisateur, n'en rendent que plus précieux son travail… On pouvait penser que Jean avait tout dit dans La nuit des horloges (voir Métaluna 2), véritable testament cinématographique de l’auteur, mais c'était bien mal connaître son engagement farouche envers le 7e art.
Tourné en HD, mais bénéficiant d'un très bel étalonnage, Le masque de la Méduse s'inscrit donc dans la continuité de son œuvre, un cinéma cérébral et référentiel (pas seulement de cinéma bis, mais de culture populaire et surréaliste au sens large). Outre les emprunts au théâtre du Grand-Guignol, à ses pièces macabres interprétées par Paula Maxa, à la mythologie grecque, bien sûr, on y admire aussi un détail du « Triomphe de la mort », le tableau de Bruegel l'ancien symbolisant la mort « uniformisatrice », même pour les grands mythes (celui des Gorgones en particulier).
La présence de Jean-Pierre Bouyxou, étonnant gardien de théâtre décapitant Méduse à coup de sabre japonais, en dit long sur les liens de Rollin à la contre-culture… tout comme le titre du film lui-même, hommage au fanzine d'Alain Petit sur le cinéma bis. Comme à son habitude, Jean Rollin concocte des saynètes surréalistes, visuellement superbes, telles celles de la jeune violoncelliste ( la petite-fille de Rollin ), pétrifiée par Méduse ( Simone Rollin, la femme de Jean ), alors qu'elle joue dans une fosse aux serpents exotique, réminiscence des couvertures du Journal des Voyages chères au réalisateur.
On pense encore à la grotte repère des trois déesses ( dans un pavillon de banlieue nous dit-on ), magnifiquement éclairée de vert et de rouge, où Sthéno nue prépare son festin de goule ( un broyât de crânes humains arrosé de son propre sang ), au milieu des curieuses statues de bois silicifié dues à Serge Rollin ( fils de Jean ), ou encore à l'aquarium aux poissons multicolores… Les filles sont belles ( Sabine Lenoël toujours, mais aussi Marlène Delcambre et Juliette Moreau, complaisamment dévêtues ).
Les maquillages et effets spéciaux sont parfaitement réussis ( tels l'égorgement gore d'Euryalé ou la pétrification des victimes ), avec une mention spéciale pour la chevelure serpentine de Méduse. On retrouve donc avec plaisir la «famille» Rollin, Simone, déjà aperçue dans La nuit des horloges, Sabine Lenoël, habituée du réalisateur depuis La fiancée de Dracula, Thomas Smith ( le nain Triboulet du Parfum de Mathilde, La fiancée de Dracula… ).
Le jeu des acteurs, parfois ralenti par les longs récitatifs, sonne juste. Simone Rollin est très convaincante ( et souvent terrifiante ) en Méduse, tout comme Sabine Lenoël tragique en Euryalé. Bouyxou est charismatique à souhait en maître de cérémonie du théâtre de l'horreur. Bernard Charnacé, dans le rôle du collectionneur, est tout bonnement excellent, insufflant un second degré décapant à ses scènes «sérieuses».
Mais la surprise vient de Marlène Delcambre, à l'interprétation aussi juste que variée, malgré un rôle difficile ; elle est souvent nue et certaines scènes frôlent le burlesque ( celle chantée du « Chapeau de Zozo » ou de la résurrection de Thomas ).
Pourtant, Le masque de la Méduse laisse une impression d’inachevé…
Avec ses 75 minutes tout au plus, on a le sentiment d'un « work in progress », que le film n'est pas encore terminé et qu'il manque des scènes… des scènes qui doivent finalement être racontées lors de longs récitatifs dignes du théâtre antique, des scènes qui se dérouleraient dans d'autres décors, des extérieurs éloignant un peu le spectateur du terne et omniprésent Théâtre du Grand-Guignol ou plutôt de ce qu'il est devenu, l’International Visual Theater, un centre socio-culturel pour sourds-muets, un cadre ayant malheureusement perdu sa magie d'antan ( et ce ne sont pas les superbes affiches d'époque qui y changent quoi que ce soit ).
L'ensemble - les récitatifs et ce décor peu enthousiasmant - fait pencher la balance vers le théâtre filmé… Si l'on excepte le cimetière du Père Lachaise, les extérieurs oniriques, que Rollin sait habituellement dénicher au milieu du quotidien blafard, sont ici rares. Ce magicien de l'image sait pourtant qu'on peut tricher au cinéma, qu'en lieu et place de son théâtre mis à neuf, il pouvait en trouver d'autres plus atmosphériques que le spectateur aurait volontiers pris pour l'original… Mais Rollin est intransigeant, honnête et fidèle à ses amours de jeunesse…
Le viol du Vampire, son premier film fut tourné en ces lieux et, quarante ans plus tard, il souhaitait y revenir. Une fidélité encore une fois digne d'éloges, mais qui réservera peut-être Le masque de la Méduse au seul public de ses fans (dont nous sommes ). En tout cas, bonne nouvelle pour tous, ce film accompagne la sortie du premier tome des œuvres écrites de Jean Rollin aux Editions Edite.
Alors tous chez vos libraires…