— Jean-Loup Philippe, vous êtes poète, comédien, acteur, metteur en scène. Hormis votre récent site Internet, on trouve peu de choses sur vous, sur votre vie. J’aurai aimé savoir quelle enfance vous avez eue.
— J’ai eu une enfance tout à fait extraordinaire, j’ai eu beaucoup de chance. J’ai eu beaucoup de chance parce que très tôt j’ai connu des gens comme Charles-Albert Cingria, Michaux, Cendrars et surtout Supervielle qui me disait, comme c’était un ami de mes parents, ma mère avait un salon littéraire, enfin c’est des gens qui venaient tout le temps à la maison et même une maison commune, en Touraine, donc j’ai eu la chance de vivre avec des gens exceptionnels, mais je le savais bizarrement. Je savais qu’ils étaient exceptionnels.
— Dès votre plus jeune âge ?
— Ah, dès mon plus jeune âge, j’ai compris que c’était des gens exceptionnels et je les écoutais avec admiration et j’ai eu beaucoup de contacts avec… Supervielle, bon, il avait de trop grandes oreilles et moi j’étais trop petit, je le regardais comme une idole mais avec Michaux par exemple, à l’âge de treize ans, je m’intéressais beaucoup aux fourmis et dans la propriété de mes parents en Touraine, comme j’étais passionné de la fourmi, Michaux venait toujours avec moi pour regarder les fourmis. Et je lui ai expliqué justement que cette fourmilière qui était noire jusqu’à telle heure devenait rouge à un certain moment et les fourmis rouges partaient en colonne pour attaquer l’autre fourmilière noire et ressortaient avec les œufs noirs parce que elles ne savaient pas manger toutes seules. Donc il fallait absolument, c’était leur vie, attaquer les gardiennes pour survivre. Alors il y a eu des combats extraordinaires entre les fourmis et Michaux était passionné par cela. D’ailleurs j’en ai un peu parlé dans mon premier roman, Monsieur Loup, de ces fourmis et de Michaux aussi. Bon, mais ça c’est un détail. Il y avait les dîners aussi où les gens étaient particulièrement brillants. Le langage… Ils venaient pour parler, pour se rencontrer, pour discuter, c’était quand même très agréable cette façon… C’était comme des joutes d’esprit. Et il y avait donc deux personnes qui étaient des conteurs hors pair. C’était Cendrars et Charles-Albert Cingria. C’était un régal de les écouter.
— On peut donc en déduire que dès l’enfance vous avec été happé par la poésie.
— Je n’ai fait que suivre la petite lumière qu’ils m’avaient transmis. C’était la petite flamme olympique.
— A quel âge et dans quelles circonstances vos yeux ont-ils enlacé la poésie écrite pour la toute première fois ?
— Oh, très jeune. Mais j’écrivais des poèmes qui commençaient toujours par «Ô ». (Rires) Ô belle-mère, etc. Quand je les ai relus, c’était mais alors mauvais ! Mais ça ne fait rien. J’avais quelques admirateurs et pourtant c’était tout à fait déplorable. Et après, je n’ai pas écrit pendant très longtemps parce que je suis devenu comédien et donc je me disais toujours « Mais qu’est-ce que je peux dire par rapport à ces gens qui ont tellement de choses à dire, qu’est-ce que je peux dire, moi ? ». Donc je n’ai pas écrit avant l’âge de…
— Complexé ?
— Non, pas complexé, mais simplement parce que j’étais nul. Bon, et à la fin, ce n’est qu’à l’âge de trente-cinq ans que j’ai commencé à écrire. Pour le théâtre, hein.
— J’aimerai que vous me disiez quelques mots sur Blaise Cendrars.
— Ah ! Oui, alors Blaise Cendrars, il venait, c’était un homme avec une voix assez grave, comme ça, très sympathique d’ailleurs, avec son bras coupé, et donc, lui aussi c’était un conteur merveilleux. Et puis il nous racontait ses histoires incroyables. Il m’avait dit : « Mais toi, toi, maintenant, faut qu’tu partes, tu vas laisser un peu tes parents, allez, tu t’en vas ! Fous le camp ! » Et une fois, il y a eu un dîner, et il venait toujours avec le peintre Fernand Léger et la femme de ce dernier, ils étaient très amis et ne se quittaient pas. Puis bon, les Léger étaient très communistes, enfin Léger je ne sais pas, mais sa femme. Et ils ont commencé à parler de politique et Cendrars s’est mis hors de lui parce que il était complètement anar : « Ah, tu nous fais chier avec ta politique ! ». Moi, je débutais à ce moment-là. Je jouais dans une pièce où j’avais trois mots à dire puis me suicidais, c’était « Eugénie les larmes aux yeux », au Studio des Champs-Elysées, mon premier rôle. Et Cendrars me demande : « Où tu vas, toi ? » Alors je lui réponds : « Je vais jouer, mais vous savez, j’ai trois mots à dire, c’est pas très intéressant ». Et Cendrars répond (Jean-Loup Philippe imite sa voix) : « Je t’accompagne, allez viens, j’vais t’baptiser ! Parce que moi, j’adore le théâtre !» Voilà, et il est parti avec moi, au regret de toute la société. (rires)
— Quand vous êtes-vous décidez à vous faufiler dans la voie théâtrale ?
— C’est un peu un concours de circonstances. J’étais un cancre absolu.
— Absolu ?
— Absolu ! Et je trouvais souvent mes professeurs très bêtes, bizarrement. Et moi je me trouvais très supérieur à eux, ce qui était complètement idiot certainement.
— Pas forcément…
— Oui. Et j’ai fait treize collèges. Mes parents me mettaient toujours dans des pensions après, ma mère ayant une vie très particulière. J’étais toujours par monts et par vaux et je m’enfuyais. Je partais, avec toujours la police qui me recherchait partout. Et donc à un certain moment, j’ai fini, après avoir fui beaucoup d’école, j’ai fini aux Roches. Et alors là, ils montaient une pièce. Le directeur avait été un ami de Copeau et il m’a demandé de jouer un rôle. Et puis j’ai joué. Et au milieu de la représentation, il s’est arrêté de jouer, il m’a regardé et m’a dit, comme j’étais très mauvais en études : « Bon, écoutez Philippe, vous allez faire du théâtre. » Et je suis parti comme ça à faire du théâtre. Sans faire de hautes études…
— Et tant mieux !
— J’en sais rien, mais bon…
— On saute quelques étapes. Dès le milieu des années cinquante, vous enchaînez pièces de théâtre et cinéma. A l’écran, vous partagez l’affiche aux côtés de nombreuses vedettes telles que Mylène Demongeot, Bourvil, Daniel Gélin, Brigitte Bardot, Darry Cowl, dans des films tels que « En effeuillant la marguerite » de Marc Allégret, « Une manche et la belle » d’Henri Verneuil, « Les bonnes causes » de Christian Jaque. Quels souvenirs gardez-vous de votre participation à ces films dans lesquels vous avez le plus souvent de petits rôles ?
— Oui, le problème si vous voulez, bon, ça s’est fait à l’époque de ma jeunesse mais surtout si vous voulez, c’était le théâtre moi qui me passionnait. C’est pour ça que j’ai joué dans « Les oiseaux de Lune » (Marcel Aymé), et puis « La vie que je t’ai donnée » de Pirandello, puis après « Thé et sympathie »…
— On va y revenir après…
— On va y revenir, bon. Et donc y avait quelques metteurs en scène comme ça et à ce moment là, il y avait très peu de rôles pour les jeunes à cette époque. Et puis bon, j’ai eu en effet quelques rôles…Mais je ne peux pas dire que ça m’a enthousiasmé. Je trouvais ça insuffisant par rapport à ce que je faisais au théâtre. Il y avait beaucoup d’attente pour dire deux trois phrases, etc. C’est un autre métier, oui.
— Deux métiers totalement différents, deux passions totalement différentes.
— Deux métiers totalement différent ! Et en effet oui, j’ai joué avec pas mal de vedettes, avec Mylène Demongeot oui, avec Bourvil. J’aimais beaucoup Bourvil. Dans les « Bonnes Causes ». Je faisais beaucoup à ce moment là de pièces, de nouvelles expressions, le « Domaine Poétique » par exemple. Et donc on me payait l’avion pour aller tourner. Je venais et on me donnait le texte à la dernière minute, ce qui fait que je ne pouvais pas l’apprendre. Alors, y a Bourvil qui avait mis mon texte sur ses manches (Jean-Loup Philippe mime la scène). Et moi donc, je lisais mon texte. (rires)
— Où avait lieu le tournage ?
— Dans un studio, en France, je ne me souviens plus où.
— En 1956, à 22 ans, vous vivez la consécration avec la pièce « Thé et sympathie » que vous interprétez aux côtés d’Ingrid Bergman au Théâtre de Paris. Un triomphe tant public que critique. Quelles relations entreteniez-vous avec Bergman ? Vivre une telle aventure aussi jeune avec un succès énorme, on peut le voir sur les coupures de journaux de l’époque, n’était-ce pas dur à gérer ?
— Non. Non, vous savez, tout ce que je faisais, c’était pour moi normal. Je jouais les « Oiseaux de Lune » au théâtre de l’Atelier, avec ma première femme d’ailleurs. J’avais comme costume un sens interdit ! (rires)
J’ai descendu la rue Blanche et je suis arrivé il y avait un groupe de jeunes qui me disent attendre pour passer une audition avec Mercure. Puis un copain me dit : « Tu sais, je pense qu’il recherche un type dans ton genre. » J’ai pas beaucoup de métier à ce moment là hein ! Ca s’est fait comme ça. Tout Paris voulait jouer avec Ingrid Bergman, c’était fou ! Alors on était 100, on était 50, on était 30, on était 20, on était 10, on était…A la fin, nous sommes arrivés à deux. Et là, après de brèves répétitions avec Ingrid Bergman, et il y avait toujours l’autre comédien, qui était moins le personnage mais qui possédait plus de technique que moi. Il était dans la salle à attendre que je me casse la figure. (rires). Et un jour, à 10 jours de la générale, subitement, Jean Mercure hurle contre moi « qu’est-ce que tu as posé ta tasse de thé là au lieu de là ? etc ». C’était un metteur en scène remarquable, très exigeant. A la fin, je suis parti ! J’suis parti en disant « bon, si c’est ça le théâtre, j’vais faire du ski ! » Parce que j’étais champion de ski. « Je vais descendre d’autres planches ! »(rires)
J’étais écœuré et triste et je me souviens, j’étais dans un hôtel, et personne ne pouvait me joindre. A dix jours de la générale…Et là, au bout de trois jours, on m’a retrouvé, et on m’a demandé de revenir. Jean était un petit homme, comme ça, très intelligent. Il m’a pris l’oreille comme ça (mimant la scène et imitant Mercure). Et j’ai signé enfin le contrat. Ca a été un énorme succès. Un événement attendu puisque c’était la rentrée d’Ingrid Bergman. Alors dans les répétitions, il y avait aussi un incident ou deux. Rossellini était là. Et j’avais ordre d’embrasser Ingrid Bergman deux fois sur la bouche, ce qui était à cette époque très osé, dix secondes. Et Jean Mercure comptait dans la salle « 1,2,3 etc ». Et à ce moment là, ça a paru insupportable à Rossellini qui a piqué une crise dans la salle et on a été obligé de le faire sortir ! (rires)
Et après ils ont divorcé, mais c’est pas à cause de ça…
— Farouche jalousie ! Vous vous êtes bien entendu avec Bergman ?
— Oui, c’est elle qui m’a trouvé. Je pense que c’est elle parce que après on a appelé Delon, on a appelé…
— Mocky ?
— Non, Mocky c’était bien avant. On a appelé Terzieff. Alors, il y en a qui étaient trop petit pour Bergman, d’autres qui n’étaient pas le personnage etc.
Et à la fin, ils sont venus me voir.
— Le personnage qu’il fallait !
— Oui, et là ça a été un triomphe. Je me souviens, à la première, c’était bien pour un jeune comédien, il y avait Mel Ferrer et Audrey Hepburn. Otto Preminger, Jean Seberg et il m’a dit « tu vois, ça c’est un comédien ! » (rires)
Ca faisait plaisir quand même. Après nous avons joué deux ans, trois ans je ne sais plus, mâtinée et soirée des fois, trois heures sur scène !
— La pièce est restée à Paris ?
— A Paris et après elle a été repris, parce que Ingrid Bergman est partie au bout de deux ans, par Micheline Presle. Elle était moins maternelle avec moi. Je jouais le rôle d’un jeune qui était persécuté dans un collège, qu’on accusait d’être homosexuel. A la fin, la femme qui est son professeur, je schématise, finit par faire l’amour avec lui pour le persuader qu’il est normal. Enfin c’était très bien écrit et c’est Roger-Ferdinand le directeur du conservatoire qui l’avait adapté. J’avais fait beaucoup d’études avec Tania Balachova mais ensuite quand j’ai voulu entrer au conservatoire après « Thé et sympathie », ça m’a été refusé par Roger-Ferdinand qui m’a dit : « Non non, c’est impossible, on ne peut pas vous prendre après ce que vous avez fait. Impossible ! » (rires)
C’était pas possible parce que ça faisait trop de différences avec les autres élèves. Mais moi, j’étais toujours humble par rapport au classique, j’aimais apprendre.
— C’est vraiment devenu une passion, parce que vous me l’avez dit, au départ, le théâtre était un petit peu un choix par défaut, vous pouvez situer le moment où il est devenu une passion ?
— C’est Tania Balachova qui était un professeur admirable qui savait révéler la personnalité de quelqu’un, son maximum, et on était transporté par elle. Et donc j’ai appris à aimer le théâtre. J’ai appris, oui…(rires)
— Après l’immense succès de « Thé et sympathie », quelles ont été vos ambitions artistiques ?
— J’ai continué à ce moment-là à faire des rôles, je jouais, j’étais devenu une petite vedette quoi, bon. Je n’avais pas de problèmes, on venait à moi, on me proposait ci, on me proposait ça. Je choisissais, c’était très agréable. Mais je savais déjà que je ne pourrai pas continuer trop longtemps ce vedettariat, ça me gênait un peu. Vous savez, on a été à des kermesses avec Bergman, il y a des gens qui nous arrachaient les boutons. Et d’ailleurs je le dis dans des interviews de l’époque : je serai écrivain, je serai metteur en scène. Je continuerai ce métier mais je ne veux pas être que ça ! J’avais besoin d’une intériorité plus grande que celle d’uniquement jouer des rôles. Donc j’avais déjà prévu ça. Au fond, c’était mon enfance qui revenait. Puis surtout parce que j’ai eu un grave problème puisque ma première femme est devenue folle et ça m’a fait un coup terrible.
— Suite au vedettariat ?
— Non, suite à la naissance d’un enfant.
— On va sauter un peu le temps. Parallèlement à vos prestations d’auteurs classiques sur les planches, beaucoup de pièces ont été jouées entre temps, vous vous tournez partiellement vers un théâtre plus expérimental, un théâtre empli de poésie, libertaire et novateur. En 1963, vous mettez en scène et fondez « Le Domaine Poétique », mêlant lectures et manifestations théâtrales. Les premières représentations eurent lieu à l’American Center, boulevard Raspail…
— Non. Les premières représentations eurent lieu à la galerie du Fleuve puis ensuite au Centre Américain. Ce qui est intéressant c’est qu’à un moment, je voulais devenir metteur en scène. Et lors d’une réunion chez un grand producteur,
j’ai rencontré un groupe de gens, de poètes, enfin qui se disaient poètes et qui l’étaient, qui cherchaient à sortir du livre. Et ils ne savaient pas comment etc. Alors je leur ai dit que je viens du théâtre et que s’ils voulaient, j’allais les aider. Et donc j’ai décidé, avec leurs consentements, pour chacun de représenter leur univers sur scène avec l’aide de moyens qui étaient tout à fait modernes à cette époque, des projections, des peintres etc, afin que leurs univers soient représentés et si possible avec la personne elle-même. Donc si vous voulez, c’était le poète qui sortait du livre et qui arrivait sur scène et qui en même temps était aidé par des acteurs, par des peintres, par des sculpteurs, par des gens, par des projections…Ca a été inclus dans les moyens d’expression de l’époque. Il y avait des gens exceptionnels dans ce « Domaine Poétique », c’était ma chance de les avoir rencontré. C’était peut-être aussi un peu leur chance de m’avoir rencontré.
— Je vais citer quelques noms : Jean-Clarence Lambert, Robert Filliou, Emmett Williams, William Burroughs, Brion Gysin…
— Puis Ghérasim Luca…
— Oui, il y avait beaucoup de monde. J’ai l’impression, nous nous sommes rencontré plusieurs fois déjà, j’ai l’impression que ça tient une place particulière dans votre cœur.
— Oh oui, ça a été la naissance d’un mouvement qui ensuite a donné toute une avant-garde internationale. Et la qualité des gens aussi…Robert Filliou était très intéressé par le théâtre…C’était un être exceptionnel. Il était passionné de théâtre et d’ailleurs j’ai monté toutes ses œuvres après. Il y avait ce fameux poème de PoïPoï. C’était une suite de mots où un personnage rentrait sur scène avec une valise et se débarrassait de ses mots avec du sable et quelques pierres. Alors un autre entrait qui ramassait ses pierres… J’avais donc structuré ça pour que ce soit vraiment prenant, avec différents sentiments : l’amour, la haine, le désespoir etc. Le rythme surtout était très important ! Ca s’appelait PoïPoï. (rires) Même en Suède après, les gens dans les prisons (j’avais monté ça au théâtre royal de Stockholm), les gens dans les prisons jouaient PoïPoï !
— Des anecdotes peut-être sur Brion Gysin et William Burroughs ?
— Avec Brion Gysin nous avons imaginé, d’ailleurs je crois que j’ai encore les photos, toute une structure où lui apparaissait sur scène et il y avait Sommerville…
— Ian Sommerville, oui…
— Ian Sommerville qui faisait des projections qui est devenu célèbre aussi. Et ces projections étaient sa propre image qui était d’abord sur lui et qui se dédoublait à un certain moment. C’était tellement bien fait qu’on ne savait pas lequel était réel. Il était doublé et à ce moment là il avait un dialogue avec lui-même, rythmé par des coups de pistolet…C’était remarquable, remarquable. C’étaient des choses de grande qualité. Ensuite c’est Jean Tardieu qui après avoir vu une représentation au Centre Américain, m’a confié toute la biennale de Paris, c’est à dire 23H de spectacle expérimental. 23H…On avait construit une salle pour ça. Avec tous les chercheurs, poètes d’univers poétiques du monde entier. Il y a eu un moment inoubliable, inoubliable (rires) de positivité par rapport à toutes ces recherches sur l’imaginaire. Alors il y avait les allemands, les japonais aussi. A chaque fois ils arrivaient dans ma maison, tout de suite avec les traducteurs. J’imaginais quelque chose sur scène alors ils venaient avec leur univers, alors je proposais des choses, j’imaginais des choses et hop, ils étaient précipités dans les salles de répétition… Tout était pensé. C’était une chance extraordinaire et ça, vous avez raison de le dire, c’est resté oublié, bizarrement ! C’est en train de ressortir, ça va ressortir parce que c’était vraiment très intéressant mais ça a été occulté parce que France Musique avait financé ça et ils avaient choisi une dame pour diriger les comédiens mais elle n’y connaissait rien, c’était pas son truc, je tairai son nom. Je suis donc allé voir Jean Tardieu qui était à ce moment là le directeur de France Musique et qui était un ami, je lui ai dit : écoutez Jean, je ne peux pas, ça ne peut pas être cette dame qui fait la direction des comédiens puisque ça fait partie aussi du point final de mes recherches. Il me répond : vous avez raison ! Mais bizarrement, on n’a jamais retrouvé les enregistrements, aucun !
— Tout a disparu ?
— Tout a disparu ! C’est invraisemblable ! Alors peut-être qu’à l’INA, on pourrait essayer de les retrouver, je ne sais pas…Parfois c’étaient des enregistrements bizarres, qui n’étaient pas faits pour être enregistrés…C’est curieux cette histoire. Il y a peut-être des traces quelque part…Enfin moi, j’ai des documents pour prouver que ça a existé ! (rires)
— Juste pour finir là-dessus, Gysin et Burroughs…
— William Burroughs, les premiers textes du « Festin Nu », c’est moi qui les ai révélés en français ! C’était un livre très particulier à cette époque. Je crois que j’ai encore un exemplaire original corrigé par Gallimard.
— Je crois que c’est Maurice Girodias qui avait publié le livre, il me semble. (Girodias le publia pour la première fois dans sa maison d’édition « Olympia Press » en 1959, en langue anglaise, puis sa première traduction en français arriva en 1964)
— C’était un écrivain très important Burroughs…C’était le cut-up !
— Oui, je connais très bien (rires)
— Le cut-up ! Le cut-up d’ailleurs c’était Brion Gysin qui l’avait initié.
— D’ailleurs en 63, année du domaine poétique, il a publié « Nova Express » avec que des cut-up. (1964 pour être précis)
— Ah oui…
— Paris ! Que représente Paris pour vous ? Est-ce que vous considérez qu’elle demeure encore aujourd’hui comme le cœur mondial de la poésie et plus largement de l’expression artistique ?
— Ecoutez, moi le problème, c’est vrai je vis là donc…
— Mais vous avez beaucoup voyagé, vous…
— Oui, non. Je n’ai pas beaucoup voyagé dans d’autres villes, mais Paris a joué un beau rôle. C’est toujours une ville que j’adore, que j’aime de plus en plus, quoique…La ville devient infernale avec toutes ses contraintes, partout, d’automobilistes, de stationnement, de…
— C’était mieux avant quoi ! (rires)
— On se promène un peu comme un résistant vous savez… (rires)
C’est la guerre !
— En 1971, vous créez et interprétez pour la première fois l’une de vos pièces, « Le bas et le haut » au théâtre du Lucernaire. Etait-ce une manière pour vous de vous émanciper, de gagner une liberté qu’on acquiert qu’en devenant son propre auteur, d’étouffer la frustration de ne dire que les mots d’autrui soir après soir ? Là, vous jouez pour la première fois l’une de vos pièces ?
— Oui, c’est ma première pièce. Mais en vérité c’est pas la première pièce parce que j’avais écrit une pièce avant qui était « L’œuf de Momie ». C’était l’histoire d’une fourmi qui n’avait plus que deux heures à vivre et était folle de rage. Alors elle avait décidé de vivre sa vie à toute vitesse, de la précipiter. Et cette pièce avait été jouée en Suède. Mais elle ne durait que 25 minutes (rires)
Les gens avaient ris comme c’est pas possible et Jean Tardieu avait regardé cette pièce et il était ravi. Il me demandait toujours quand il me voyait : « comment va votre fourmi ? » (rires)
Donc le « Bas et le haut » oui, en effet c’était la première pièce que je jouais, donc c’était une histoire de paumés, qui cherchent un chapeau dans le plafond et font un trou dans ce plafond et de ce trou tombe la moitié d’une femme. Et ils se prennent chacun à aimer une partie de cette femme.
— Le buste et les jambes.
— Voilà. Bon et après ils leur arrivent des tas de choses. (rires)
— Bonnes critiques dans la presse à cette époque comme on peut le voir dans des coupures de journaux.
— Oui oui. Après il y a eu « Nus et Bleus »…
— J’allais y venir. En 1972, vous créez donc la pièce « Nus et bleus » où vous évoluez votre partenaire Laurence Imbert et vous-même dans le plus simple appareil. Avez-vous rencontré des difficultés à monter ce spectacle ? Et pensez vous que dans l’époque frileuse actuelle il aurait été plus difficile de jouer cette pièce ?
— Bon. « Nus et Bleus », ce qui m’intéressait en vérité c’était toujours de faire des recherches…Et « Nus et bleus », je veux dire…Les silences étaient aussi importants que le texte. Et puis, j’avais voulu traiter le nu, en vérité, comme un peintre peut le faire. C’est à dire qu’il y avait le nu dans le texte, le nu dans le décor et le nu des corps. Et le bleu envahissait tout petit à petit et absorbait tout, voilà. C’était la mort. C’était ça « Nus et bleus ». Et alors là, ça a été une histoire… D’abord on était parmi les premiers ou les deux premiers en tant qu’auteur à jouer nu. Bon. Puis Laurence était très pudique donc c’était très difficile…Il fallait donc que chaque geste soit en même temps comme des bêtes sauvages au ralenti ou bien comme un arc qui se détend ! Mais c’était impossible de se balader comme les nudistes le fond. Donc tout mouvement était totalement structuré si vous voulez, pour que ce soit d’abord théâtralisé et puis en même temps que ce soit tendu. Les répétitions devenaient infernales, j’étais fou, complètement fou (rires). Tout le monde me disait : c’est pas possible, c’est pas possible, tu vas pas te mettre nu, qu’est-ce que c’est que ça ! Trois de mes assistants sont partis en disant « je comprends rien à c’qu’il fait (rires) , et vraiment, ils sont partis ! Bon et alors Laurence m’a suivi, mais elle en doutait elle-même. Et à la première, on avait une salle évidemment d’amis, ça ricanait. Evidemment, ils étaient gênés. C’était terrible, Laurence est sortie de scène en pleurant, en disant c’est fini etc. On avait l’impression que tout le travail qu’on avait fait était…Je lui ai dit « non non, t’inquiète pas, ça va être un succès ! »
Le directeur qui était Christian Le Guillochet, qui m’aimait beaucoup, m’a dit : « Ecoute Jean-Loup, je te donne trois jours ». Je lui ai dit que non non, ça va marcher (rires). Et ça a marché. Ca a été l’un des plus gros triomphes du Lucernaire. C’était une aventure…C’était très difficile de jouer nu, pas évident. Très difficile ! Surtout une pièce où le texte était presque abstrait. Alors il y a eu une représentation, j’peux en parler d’ailleurs parce que ça m’amuse toujours ! Parfois, il y avait des gens qui venaient pour autre chose, pas du tout pour le spectacle artistique. C’est arrivé rarement mais ça arrivait qu’une ou deux personnes riaient alors bon…Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous ! Et à ce moment là, j’avais dit à Laurence : « Bon écoute, s’il y a du bruit, s’il y a quelque chose qui se passe, on s’arrête ! Mouvements arrêtés, plus rien ! » Bon, c’est ce qui se passait, nous nous sommes donc arrêtés, ça râlait. Et à la fin, il y avait un type au premier rang qui a dit (Jean-Loup Philippe imite sa voix) : « Oh, taisez-vous vous, alors ! Bon écoute, je comprends rien, mais c’est très beau ! » (éclats de rire) « Continue mon p’tit, c’est très beau! J’comprends rien mais c’est très beau ! » (rires) Alors bon, mais c’était une bonne expérience puis après nous avons joué à Avignon.
— C’était votre deuxième création que vous jouiez ?
— C’était ma deuxième création.
— Parlez-moi de votre texte intitulé « Les Ils ».
— « Les Ils » c’est un texte de combat si vous voulez. Dans mon écriture il y a des textes d’amour, et celui-ci fait partie de mes textes de « combat » les plus violents, c’est excessivement violent. C’est un livre contre la société, contre ce qui se passe…Et donc je l’avais écrit dans un pigeonnier en Corse. J’allais tous les jours dans ce pigeonnier pour écrire ces fameux « ils ». C’est l’histoire d’un homme qui est traqué, retiré dans un lieu , encerclé, parce que les mots ont absorbé les gens, les ont conditionnés, et les gens répètent toujours dans un discours cartésien à peu près la même chose. Et « il » justement, en tant que poète, veut CASSER cet appris par cœur, ce langage, enfin tout ce qu’on nous apprend en vérité. Il veut briser si vous voulez, la routine habituelle du langage, donc il s’exprime en tant que poète en essayant de briser tous ces fameux mots qui l’assaillent comme des rats, il a donc une machine pour attraper les mots, pour les réduire en poussière, une paire de ciseau aussi pour les couper. Il y avait Bernard Heidsieck qui donc est un poète qui avait participé au « Domaine Poétique » qui avait fait justement des recherches sur le langage, avait crée ces fameux mots qui étaient des sons comme ça et qui couraient (J.L Philippe à renfort de grands gestes imite ces sons). Des syllabes qui couraient partout car elles étaient séparées du langage etc et moi j’essayais de couper tout ça. Et à la fin, ce personnage est vaincu par les mots, c’est le langage qui triomphe (rires). Mais c’est un combat Don Quichottien entre ces formes du langage…Cette pièce a beaucoup d’intérêt et a obtenu beaucoup de succès, elle a été jouée à Paris, à Avignon, à Beaubourg aussi quand ils m’avaient fait un hommage en tant que poète, je l’ai repris au théâtre de Plaisance aussi qui n’existe plus aujourd’hui etc.
— Et donc elle a été créée juste après « Nus et Bleus » ?
— Elle a été créée en même temps à peu près. J’essayais toujours de renouveler une aventure sur le langage et sur moi-même aussi. J’avais un maître qui était d’ailleurs Jean Tardieu, qui lui essayait aussi toujours d’agir ainsi. C’était donc ça qui m’intéressait et qui m’intéresse toujours.
— Jean-Loup Philippe, peut-on trouver dans votre œuvre un thème commun, des obsessions ?
— Oui, justement ce que me disait mon ami Chopin, Henri Chopin, un poète sonore et grand poète et un très grand écrivain méconnu : oui, nous sommes des résistants, des résistants de la résistance. Nous sommes des résistants, voilà oui. C’est sûr ! Oui, je suis passionné par les mots. Le thème c’est toujours l’imaginaire, d’échapper A…, de différentes façons. Alors on peut échapper en combattant, on peut échapper aussi par amour, on peut échapper de cent façons différentes. Sortir de la réalité quotidienne pour aller ailleurs. Le thème c’est l’ailleurs. Plus loin, toujours plus loin (rires)
— Votre boulimie artistique, ses pulsions oniriques, poétiques, ne fait-elle pas écho à ces mots de Michaux (que l’on peut interpréter de différentes manières) : « On n’est peut-être pas fait pour un seul moi » Se déguiser pour s’oublier un peu?
— On est plusieurs oui, c’est vrai. Non je ne crois pas qu’il faut se déguiser, je crois qu’il faut être plusieurs, c’est autre chose. Etre multiple si vous voulez…le problème de l’identité, le passeport, tout ça (rires) est une chose tout à fait restrictive (rires). D’ailleurs les lapons, je crois que c’est les lapons oui, ou les esquimaux, ont plusieurs identités et ils sont absolument… La petite fille peut devenir grand-mère du petit bébé ou la grand-mère de son père. Enfin les esquimaux ont comme ça des tas d’identités et c’est très bien. Je pense que les gens ont tort de n’avoir qu’une seule identité, je crois que ce n’est pas possible.
— Vous avez entretenu une longue amitié avec le cinéaste surréaliste Jean Rollin, avec lequel vous avez tourné à diverses reprises dès 1958 avec «L’itinéraire Marin » puis « Lèvres de Sang », « La Nuit des Horloges » entre autres. Quels regards portez-vous sur l’homme et sur l’artiste qu’il était ?
— Nous nous sommes rencontrés la première fois…Oh je ne sais plus…Il est venu…La première critique du « Domaine Poétique », c’est lui qui l’a faite. On était très heureux parce que on avait très peu de critiques hormis deux trois personnes. Et puis bon, alors on se connaissait et il y a eu le fameux « Itinéraire Marin ». Je pense que c’était le film très extraordinaire de Jean, c’étaient ses débuts, avec des dialogues de Marguerite Duras, y avait Chauffard, Fardoulis qui était un poète, son fils Pascal Fardoulis aussi…C’est un film d’une poésie incroyable, une sorte de Bouvard et Pécuchet si vous voulez, qui se passait en Bretagne. Malheureusement Jean n’a pas pu le terminer pour une histoire d’argent et on était tous d’accord pour continuer mais tous les financiers lui couraient derrière donc le film s’est arrêté. Et malheureusement ce film s’est perdu, il ne reste que quelques photos, il reste le scénario, il reste les dialogues…Il y avait aussi Gaston Modot qui était un très grand acteur aussi…Et c’est vraiment dommage ! Je pense que ça a été quelque chose de très important pour Jean parce que ensuite il s’est plongé dans un autre style qui était le film de vampires, avec son imaginaire…Le goût des décors, il commençait à apparaître dans ses films des choses fantasmagoriques…Jean était très littéraire en vérité, il était d’ailleurs aussi un écrivain. C’était un être tout à fait particulier. Et ensuite il s’est toujours attaché à faire des films de vampires (rires), c’était devenu le spécialiste des films de vampires, ça marchait bien d’ailleurs. Bon, puis un jour j’avais écrit un scénario pour lui qui s’appelait « Lèvres de Sang », et sur une partie d’échec avec Polac, y avait un personnage qui était un producteur qui était en admiration devant mon jeu et il a financé le film et ça s’est passé comme ça, très très vite ! Mais souvent les choses dans la vie sont très soudaines. Je ne peux pas calculer les choses, ça arrive comme ça…Je pense que la vie c’est une question de rencontres absolue.
— Sans hasard !
— Hasard peut-être, mais enfin bon…Je pense que c’est une question de regard aussi, être là où il faut, être là quand il faut !
— Vous avez servi un nombre conséquent d’auteurs, autant classiques que modernes : Shakespeare, Dubillard, Tardieu, Michaux etc. Parmi tous les rôles que vous avez interprétés, duquel vous sentez-vous le plus proche ?
— C’est à dire qu’ils sont tous très différents… J’ai de très bons souvenirs avec Dubillard…
— Je parle vraiment d’un personnage que vous avez pu interprétez.
— Non parce qu’à chaque fois c’est une chose différente. On peut se sentir plus ou moins à l’aise si voulez…J’étais très content dernièrement de faire du Shakespeare au Théâtre du Nord-Ouest dans une de ses premières pièces, « Henri VI ». Mais bon, j’étais très content aussi de jouer « Le Cid », Rodrigue aux Tréteaux de France, ou alors dans « Les Hirondelles », dans « Monsieur le Monde » dernièrement…J’ai pas de…Pour moi, si vous voulez, le théâtre en tant que comédien, c’est le côté sensations, comme un enfant qui ressent les choses, qui rentre dans ce jeu si vous voulez. Le métier de metteur en scène c’est tout à fait réfléchi, c’est autre chose, côté auteur c’est totalement introverti, on ne peut pas fait les deux ensemble, l’un ou l’autre. Il m’est très difficile d’écrire quand je joue, quand je mets en scène, c’est impossible.
— Vous avez publié de nombreux ouvrages de poésie et de théâtre depuis les années soixante, mais votre premier roman « Monsieur Loup » ne surgit qu’en 2004. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour pénétrer la littérature alors que votre vie semble consacrée aux mots ?
— Bah, non. La littérature je l’ai déjà pénétrée avec mes poèmes…
— Oui mais là, il s’agit d’un roman, votre premier roman.
— Oui, c’est un roman. Bon, je vais vous dire la vérité, c’est que j’étais un auteur de théâtre au départ, donc très à l’aise dans les dialogues, quels qu’ils soient, qu’ils soient poétiques ou plus classiques, mais le côté roman me paralysait. Et là, j’avais écrit un premier roman que j’avais mis au feu tellement je le trouvais mauvais…
— Plus aucune trace ?
— Plus aucune trace ! Ca s’appelait « Monsieur Charles », je n’ai plus aucune trace ! Je l’ai lu à un de mes amis, Jacques, qui était venu prendre une tasse de thé chez moi et qui est resté dix ans, et il était venu écrire un roman. C’était un être merveilleux et en vérité il a pas fini son roman et moi j’ai commencé à écrire. Il me disait toujours : C’est toi, toi l’écrivain (rires). Il m’encourageait énormément, Jacques est vraiment un personnage que j’ai beaucoup aimé, il ressemble à Jean-Louis Barrault, il est resté dix ans chez moi. Voilà ce que je peux dire.
— Donc il y a un moment où vous vous êtes débloqué…
— Ah oui, alors pour le roman, c’est Jacques qui m’a dit, en lisant ce roman « Monsieur Charles » : C’est dégueulasse ! Allez, jette ça au feu ! (rires) Je ne l’ai jamais montré à personne, je l’ai jeté au feu. Je me disais que jamais je ne pourrai écrire de roman. Je peux écrire des poèmes, je peux écrire des nouvelles, je peux écrire des contes, peut-être, mais jamais je ne pourrai écrire un roman. Et puis subitement, hop, j’ai trouvé un style qui m’était propre, qui m’intéressait parce que je le dis souvent, les romans me tombent des mains au bout de dix pages, c’est lourd, c’est… Il fallait donc que je trouve cette espèce de style assez léger apparemment…
— Avec de belles assonances…
— Assonances, oui.
— Tout au long de votre carrière, vous avez collaboré avec un grand nombre d’artistes, poètes, écrivains, peintres, sculpteurs etc. Selon vous, l’art ne forme qu’un ?
— C’est à dire que oui, je travaille beaucoup, c’est à dire que oui on peut avoir des correspondances totales avec un peintre, avec un sculpteur, avec un musicien, j’ai travaillé beaucoup avec Alain Kremski par exemple, qui est l’un des plus grand spécialistes de la musique tibétaine, enfin des bols tibétains. J’ai aussi travaillé beaucoup avec des peintres. Je trouve que c’est ça qui est intéressant, ces rencontres, ces discussions, ces conversations, en essayant de chacun de répondre à l’autre à travers un livre, des livres d’artistes, les livres objets…Oui je pense qu’en effet il y a des moyens d’expression différents…L’artiste reste l’artiste si vous voulez.
— Henri Michaux que vous avez adapté pour le théâtre est-il l’auteur avec lequel vous vous sentez le plus d’affinités ?
— Je me sens de grandes affinités avec Henri Michaux et il me parle dans ses textes. Il est absolument essentiel pour moi. Il y en a d’autres bien entendu, par exemple je prends à l’envers d’Henri Michaux, Henry Miller, qui pour moi, bon il écrit souvent le contraire de ce que je fais mais il me parle aussi. Bon, et puis il y en a quelques uns n’est-ce pas, Dostoïevski aussi, voilà. J’en cite trois mais bon… C’est vrai que j’ai vraiment un plaisir à entrer dans leur univers et dans leur langage aussi, c’est vrai.
— Suivez-vous quelques rituels pour écrire, sur quel support vous retranscrivez vos pensées, est-ce par ordinateur ou…
— Non, je n’ai pas d’ordinateur. Je n’ai que le silence. (sourires)
— Si demain vous rencontriez le Jean-Loup Philippe que vous étiez en 1960, qu’auriez-vous envie de lui transmettre ?
— (Surpris par ma question) Bah, je ne sais pas…(rires) Question au dépourvu… Non, je lui dirai : Ecoute, fais comme moi ! (éclats de rire)
— Bonne réponse (rires)
— Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
— Je pense que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai eu beaucoup de chance, des chances différentes. La première bon, ça a été d’être un petit peu célèbre, la seconde ça a été de rencontrer des gens extraordinaires, voilà. Et puis la troisième c’est que j’ai pu m’exprimer à travers l’écriture, le théâtre, la mise en scène. Oui j’ai eu beaucoup de chance, mais quand même ça a été très difficile, c’est un dur combat, c’est pas facile (rires).
— Et la création dont vous êtes le plus fier, tous domaines confondus ?
— Je pense que ma création la plus personnelle, c’est l’écriture. Après comédien, écrivain, tout, et la mise en scène, c’est un chef d’orchestre, un juste moment entre le texte, l’acteur et le public. Il faut regarder ces trois choses pour arriver à un spectacle convenable.
— C’est pour vous l’écriture qui…
— L’écriture pour moi est certainement, et plus j’avance, plus l’écriture me passionne, c’est vrai, et puis bon, on a un petit peu moins de forces quand même…Bon et puis c’est une épreuve aussi ! Je pensais, justement, qu’on irait avec des auteurs comme Tardieu, comme d’autres, Artaud, qu’il y aurait une explosion de ce genre de théâtre…Et bien, non. C’est de plus en plus difficile. On rentre dans un ghetto, j’veux dire, si on n’est pas politisé, gauche, droite, ou faisant parti d’une mafia, franc-maçonnique ou homosexuelle ou n’importe quoi, c’est très difficile ! Parce que on se heurte à des, je sais pas, à des murs, des murs qui n’ont rien à voir avec le métier, rien à voir avec l’art et rien à voir avec rien, qui sont des mafias en quelque sorte, des mafias fermées, et ça, c’est très difficile.
— Jean-Loup Philippe, quelle est votre actualité, sachant que nous sommes le 19 mars 2014 ?
— Mon actualité c’est mes projets mais je ne vais pas trop en parler parce que on ne sait jamais si ça va se réaliser (rires).
— Merci
— Merci