Curieux mélange d’intentions radicalement opposées et de respect des conventions de genre, de cinéma bis et de quête de pureté esthétique absolue, le cinéma de Jean Rollin représente ce truc « entre deux chaises » dont parle Jennie et qui nous semble en tous points passionnant. Il y a une modernité, une croyance échevelée dans son propre matériau qui va bien au-delà du simple cabinet de curiosités. Et si ses films ont quelque chose d'aussi vivant aujourd'hui, c'est qu'ils rentrent en résonance avec un modus operandi contemporain et très spontané qui donne l'impression que l'œuvre se créée au moment où elle se formule - si on était un peu péteux, on pourrait appeler ça un processus créatif performatif.
Dans la préface au livre Jean Rollin, cinéaste écrivain, son compagnon de toujours Jean-Pierre Bouyxou écrit à propos de lui :
« Ce que les cinéphiles bon teint ont toujours pris bêtement pour de l’amateurisme, pour du je-m’en-foutisme ou pour de l’incapacité chez Rollin (son mépris de la linéarité et de la logique, sa conception théâtralisante et pataphysicienne de la direction des acteurs, son goût de l’emphase feuilletonesque, sa bienveillante curiosité envers les déviances érotiques, sa passion du mélodrame) acquiert sa pleine valeur de choix esthétique, et disons-le, idéologique. On est transporté à la fois dans un tableau de Clovis Trouille et dans un roman de Gaston Leroux, dans un collage de Max Ernst et dans une pièce de Grand Guignol, dans la couverture bariolée d’un vieux Fantômas et dans un épisode de serial muet, dans le château d’Otrante et dans la caverne du Fantôme du Bengale. À contre-courant des films pyrotechniques qui prennent les poursuites de bagnoles pour de l’action, les conventions pour des audaces et les trucages électroniques pour de la mise en scène, Jean Rollin nous ramène au cinéma. Le vrai, celui qui fait frissonner et pleurer, celui qui fait planer. »
On pourrait aisément ajouter que sa musique, bande-son d’une époque mais également d’une manière de faire du cinéma (avec trois bouts de ficelle, en ne souciant guère de technique ni de cohérence) a encore aujourd'hui de quoi dynamiter pas mal de présupposés, qu'il serait bon de rappeler à une époque où pas mal de disques, notamment, semblent encore tirer une fierté d'être « bien produits ».
Sources :
Cinémas libertaires: Au service des forces de transgression et de révolte, Nicole Brenez et Isabelle Marinone, Septentrion, 2015
L'underground musical en France, Éric Deshayes & Dominique Grimaud, Le Mot et le Reste, 2013
Nanarland.com - Biographie de Jean Rollin