A la mort du réalisateur et écrivain Michel Jean, Isabelle, sa jeune cousine hérite d’une jolie demeure à l’abandon et de bien d’autres choses encore ! Elle-même inspiratrice de son œuvre, elle est assaillie par les créations de l’artiste qui se déplacent d’un monde à un autre en empruntant les ouvertures d’horloges…
La nuit des horloges est certainement le film le plus abouti de Jean Rollin. Epuré des scories du Fantastique et de ses péripéties budgétivores (que ses détracteurs lui reprochent souvent, vu ses moyens modestes), c’est la quintessence de son œuvre cinématographique, dans ce qu’elle a de plus intime…
Il s’agit bien du testament artistique d’un créateur (et le nom de Michel Jean, le prénom véritable, inversé de Jean Rollin, ne nous permet pas d’en douter), d’un auteur issu de la sphère surréaliste, à la pensée matérialiste et révoltée, en butte contre l’absurdité d’une vie éphémère, contre la déchéance de la chair, l’impossible fusion de la vie et de la mort, des rêves trop fulgurants et de la réalité…
Les images fantômes investissent une Ovidie comme on ne l’a jamais vue, parfaitement convaincante en tant qu’Isabelle. Elle recherche son parent disparu, au contact de ses objets familiers (la rose de fer, les livres…), usant d’eux comme de liens médiumniques ou chamaniques.
Bien évidement, les références sont nombreuses. Rollin puise dans le creuset de sa propre création, s’autocannibalisant de façon étonnante. La surprise vient des inserts de ses films précédents dont la magie opère complètement, grâce à un montage remarquable. La beauté des images de Rollin, débarrassées de leurs contextes, saute aux yeux. Les romans de Jean Rollin sont également évoqués ici et là, au détour d’une phrase, d’un plan et le film prend vite des allures de clé donnant accès à une œuvre complexe et cohérente. Mais les références sont parfois exogènes. Isabelle, telle l’Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, est à la recherche de son imaginaire, représenté par le cinéaste faisant office de lapin blanc… Et cette horloge, porte des fantasmes et de l’imaginaire de Rollin, n’est-elle pas celle de Rouletabille* du Mystère de la chambre jaune ?
Telle Isabelle, on est emporté dans ce ressac de flux conscients et de reflux oniriques (à moins que cela ne soit l’inverse ?). Le spectateur roule sous la houle, tels les galets de la plage de Pourville, complètement désorienté, dans un environnement où la logique à fait place au sensoriel. La logique de l’illogique, car rien n’est vrai… Et c’est beau ! Les décors sont des tableaux, le château, la forêt pétrifiée, le Musée de La Specola, magnifiés par la photographie de Marfaing-Sintes… Tout est hors du monde.
Le casting est formidable, cristallisant les émotions, comme autant de joyaux, dans des moments d’intensité rare, avec une mention spéciale à Sabine Lenoël et Nathalie Perrey. Même si on est parfois plus proche des récitatifs du théâtre que du cinéma (à l’instar de L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais), l’effet est garanti. En outre, l’amateur rollinien verra défiler de nombreuses têtes connues. Et l’on s’émeut de revoir tel acteur avec trente ans de plus…
Isabelle recherche son cousin à corps perdu, allant jusqu’à tenter l’impossible union avec une gisante de cire à La Specola, de l’autre côté de la vitre, de l’autre côté du miroir. Orchestré par les créatures de Michel Jean, ce rituel insensé, d’une beauté troublante, sera voué à l’échec… Pour être finalement elle-même, Isabelle devra s’affranchir de son pygmalion, mais est-on réellement soi-même sans les repères de son passé ? C’est sur cette interrogation que nous laisse le film de Rollin, complètement épuisé par un tel déferlement d’émotions. La désillusion est palpable face à ces horloges qui, si elles sont des portes, n’en sont pas moins les témoins du temps qui passe et de l’obscurité tout au bout du chemin (tel le tunnel du début du film). La nuit des horloges… Et si la philosophie de Rollin était contenue dans ce titre ?
Rollin a signé son œuvre majeure, ses fans apprécieront, ses détracteurs ricaneront peut-être encore, frustrés de n’avoir pas tout compris. Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis…
*Pour mieux comprendre Rollin dans son contexte artistique, on conseillera la lecture de son dernier ouvrage, Les dialogues sans fin, consacré à ses fréquentations du milieu littéraire d’après-guerre…
La nuit des horloges (Les films ABC 2006)
Mise en scène de Jean Rollin
Image : Norbert Marfaing-Sintes
Musique : Philippe d’Aram
Avec : Ovidie, Sabine Lenoël, Nathalie Perrey, Sandrine Thoquet, Jean-Loup Philippe, Françoise Blanchard, Maurice Lemaître, Dominique Toussaint, Julie Duboc.