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Je suis sûr, et Jean est de mon avis, qu’on ne peut pas aimer le cinéma fantastique populaire, les serials de Ford Beebe, les films d’horreur de Robert Siodmak, les films de cul de Benazeraf, les bandes dessinées de Pellos, Guy L’Eclair, Mandrake le magicien, Les Misérables de Hugo, Gaston Leroux, Les Deux Orphelines, sans aimer aussi Yves Tanguy, Max Ernst, Eluard, Guy Debord… je n’arrive pas à faire de frontière entre ces choses-là qui me semblent former un tout complètement cohérent. Je serai bien en peine de définir le point de cohérence mais je sais qu’il existe quelque part.
Je le sens… je le ressens.
 
Propos recueillis par Stéphane du Mesnildot
Satan bouche un coin de Jean-Pierre Bouyxou
Justement, comment se passe un tournage avec Jean Rollin ? Comme il est vraiment viscéralement anar, Jean a la particularité – qui est à la fois sa plus immense qualité et son défaut le plus encombrant – d’être contre toute forme d’autorité, y compris la sienne. Donc, il répugne à diriger les gens. Il dit ce qu’il a envie de faire mais il ne donne pas d’instruction. Il en est tout à fait capable mais il n’aime pas ça. Ca donne une formidable liberté mais comme il n’a pas souvent les moyens d’utiliser de très bons acteurs ni parfois de très bons techniciens, il devrait les avoir bien en main et leur indiquer chaque détail de leur jeu ou de leur travail. Donc c’est parfois un peu à côté de la plaque. En même temps ça donne un ton complètement décalé et irréaliste. Les films de Jean sont des trips oniriques du début à la fin et le « mauvais » jeu des comédiens entre en grande partie dans cet irréalisme. Dans les films de Rollin, on ne parle pas comme on parle dans la vie, d’abord parce que les dialogues sont très littéraires. Il est beaucoup plus marqué, et tant mieux, par Gaston Leroux que par Michel Audiard. On est dans un parlé presque pompier, parfaitement artificiel, mais dans la mesure où les toiles de Clovis Trouille ont un côté pompier. Il y a un refus absolu du naturalisme.
 
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Voyage au pays de Bouyxou, Rollin et Du Mesnildot...
Satan bouche un coin de Jean-Pierre Bouyxou
 
Tu es même devenu le personnage de plusieurs romans de Jean Rollin réunis sous le titre Jean-Pierre Bouyxou contre la femme au masque rouge.
 
Alors ça c’est très rigolo et très sympathique. Jean Rollin ne m’a tenu au courant de rien et un jour il me téléphone en me disant : « tu vas recevoir demain une enveloppe que je t’envoies, c’est une surprise. » et effectivement, le lendemain, je recevais Vies et aventures de Jean-Pierre Bouyxou, un bouquin dont j’étais le personnage principal. D’abord ça m’a ému, parce que c’est quand même un signe d’amitié et d’affection tout à fait rare et émouvant. Si je ne l’avais déjà su, j’aurais su ce jour-là que Jean décidément m’aimait beaucoup. Et par ailleurs, j’aime beaucoup les livres. C’est le Jean Rollin que je préfère, celui de ses meilleurs films, des Deux orphelines vampires et de La nuit des horloges, son prochain film. La nuit des horloges est magnifique, peut-être ce qu’il a fait de plus beau et de plus authentiquement surréaliste. On lâche la bride à l’imagination, c’est Gaston Leroux puissance André Breton. Maintenant, bien sûr, on peut venir chicaner Jean. Effectivement, il ne filme pas comme Eisenstein et il n’écrit pas comme Victor Hugo mais il se trouve que le cinéma et la littérature qu’il pratique me passionnent et me subjuguent complètement.
 
Pour moi, Jean représente la fusion idéale entre le cinéma populaire dans son essence même, dans sa liberté, dans sa dinguerie et dans ses codes, et le cinéma d’avant-garde plus pointu, le plus expérimental et le plus gonflé. Il mêle les deux, ça forme un tout et il se fout que ça appartienne à l’un ou à l’autre.
S. du Mesnildot,  Jean-Pierre Bouyxou parle de Jean Rollin
Comment as-tu rencontré Jean Rollin ?
 
J’ai connu Jean Rollin, d’abord comme critique anar et puis j’ai appris qu’il faisait des films. Je programmais un ciné-club à Bordeaux qui était celui de l’antenne locale de la Fédération Anarchiste. Et je lisais le Monde Libertaire, la revue de la FA, dont il était le critique de cinéma.
 
Un jour au marché du film de Cannes, je vois La Vampire nue, son deuxième long métrage après Le Viol du vampire. J’aime beaucoup le film et j’en parle dans La science fiction au cinéma, un livre que j’écrivais à cette époque. Je reçois plus tard une lettre de Jean Rollin me disant « Cher monsieur, c’est formidable, quelqu’un a vu le film que j’ai voulu faire. Ca me fait très plaisir, merci beaucoup ». Un ou deux ans plus tard alors que je m’étais installé à Bruxelles, Jean vient y tourner Les Démoniaques. Comme nous avions un ami commun, il me fait savoir qu’il aimerait bien que je fasse de la figuration. Il s’est trouvé que l’assistant de Jean sur ce tournage était un peu déficient et que j’ai pu rattraper le coup sur quelques petits détails. J’ai donc servi d’assistant à Jean sur le film mais surtout nous avons sympathisé.
 
Un ou deux ans plus tard, Jean m’a à nouveau demandé d’être son assistant. Il m’a précisé qu’il ne voulait pas d’un assistant habituel – en général c’est un jeune homme qui va chercher des sandwichs pour l’équipe – mais de quelqu’un avec qui parler et avoir des échanges. Plus un complice qu’un assistant. J’ai ainsi été son assistant pendant tout une période. C’était très chouette. Je n’ai malheureusement pas travaillé sur ses films de vampires mais sur des pornos auxquels il n’attachait pas beaucoup d’importance. Mais un tournage est toujours une chose exaltante et c’était très jouissif de travailler avec lui.
 
De toute ma vie, je n’ai rien vu de plus beau que les courts métrages qui composent le DVD multizone « Etienne O’Leary, Films 1966-1968 », édité à Montréal par l’ICPCE (Institut pour la coordination et la propagation des cinémas exploratoires, [clic]): Day Tripper (1966), Homeo (1967) et Chromo Sud (1968), auxquels s’ajoute, en bonus, un inédit inachevé de 1967 avec les acteurs du Living Theatre. Longtemps invisibles, ignorés des historiens comme des critiques, les films d’Etienne O’Leary sont au cinéma ce que les poèmes les plus fulgurants de Rimbaud furent à la littérature. C’est en travaillant avec O’Leary, dont il était un proche, que Pierre Clémenti a éprouvé le désir de passer lui-même à la réalisation. Mais O’Leary est encore plus lyrique, encore plus novateur, encore plus brûlant que lui. Aucun cinéaste – je dis bien aucun – n’a eu son intensité, sa fulgurance.
Ne mourez pas idiot: découvrez-le, ce sera un choc.
Jean-Pierre Bouyxou
22 janvier 2011
Parmi les « vrais » films de l’année, un seul à signaler: Le Masque de la Méduse, de Jean Rollin. Une épure, l’aboutissement de tout le cinéma rollinien. Laissez ricaner les connards et abandonnez-vous au charme indicible d’un réalisateur hors normes. Dernier des grands surréalistes, Rollin est mort le 15 décembre dernier, peu après l’achèvement de cet ultime mélodrame anarcho-fantastique (tourné dans un incroyable dénuement matériel), sans avoir fait la moindre concession aux diktats du conformisme. Il est malheureusement probable que Le Masque de la Méduse ne sortira jamais en salle, mais il figure sur le DVD qui accompagne le tome 1 des œuvres romanesques complètes de son auteur aux éditions E/dite [ clic ! ]. Indispensable.
Stéphane du Mesnildot redonne à voir, sur son blog Les films libèrent la tête (clic), l'entretien avec Rollin et Bouyxou filmé à Paris en juillet 2007, agrémenté d'un extrait de Perdues dans New York (photo ci-haut).
On consultera également avec profit le blog de l'Américain Jeremy Richey (clic).
 
En-dessous, l'immense Michel Delahaye dans La vampire nue.
« C'était le père du film de vampires à la française, un réalisateur un peu excentré sinon excentrique, fidèle toute sa vie à une certaine vision du cinéma, travaillant dans des conditions de production toujours modestes, voire dérisoires. Le cinéaste et écrivain Jean Rollin est mort à Paris, le 15 décembre, des suites d'une longue maladie.
Jean-Michel Rollin Roth Le Gentil est né le 3 novembre 1938 à Neuilly-sur-Seine. Il apprend les ficelles du métier de réalisateur durant son service militaire au service cinématographique des armées puis se lance dans la réalisation de films expérimentaux. Il collaborera d'ailleurs, en 1963, avec Marguerite Duras, à un projet resté inachevé. Fasciné par le cinéma et la littérature fantastique, les romans populaires du début du XXe siècle, par toute une tradition, donc, qui le rattache au goût des surréalistes, il réalise en 1968 Le Viol du vampire, composé de deux moyens-métrages vaguement raccordés entre eux. Commandé à l'origine par un petit distributeur indépendant, le film, qui sortira en salles en plein Mai 68, se situe au croisement de catégories diverses: l'épouvante, l'underground et l'érotisme cinématographiques. Les amateurs de films de vampires traditionnels sont pour la plupart décontenancés. Les spectateurs sont furieux, les critiques assassins.
Il se fait dès lors le spécialiste d'un cinéma gothique, psychédélique et érotique. Son style et son univers sont uniques. De jeunes femmes dénudées déambulent sur des plages désertes, des cimetières nocturnes, des couloirs sombres, découvrant le plaisir et la liberté dans les bras de vampires sentencieux. Exaltations libertaires et romantiques, des films comme La Vampire nue (1969), Le Frisson des vampires (1970), Requiem pour un vampire (1971), La Rose de fer (1973) ou Lèvres de sang (1975) glorifient le plaisir et la liberté dans la transgression.
Travaillant essentiellement pour de petits producteurs spécialistes de la série B, il tourne aussi - sans doute pour faire bouillir la marmite car ses films personnels ne rencontrent guère le succès commercial - des films pornographiques et des comédies navrantes.
Son oeuvre divise les amateurs. Il y a ceux qui regrettent la pauvreté des moyens, la direction d'acteurs nonchalante, et ceux qui sont sensibles à une forme de poésie élaborée, une manière incomparable de dépasser les conventions du cinéma fantastique et la beauté des interprètes féminines.
Ces dernières années, il avait repris une production personnelle un peu plus soutenue avec des films comme Les Deux Orphelines vampires en 1997, La Fiancée de Dracula en 2002, La Nuit des Horloges en 2008 et Le Masque de la méduse en 2010, ce dernier titre tourné dans les décors du théâtre du Grand-Guignol, affirmant avec une grande netteté ses obsessions de toujours. Jean Rollin a par ailleurs écrit des romans et un livre de souvenirs, Moteur, coupez ! Mémoires d'un cinéaste singulier. »
 
Jean-François Rauger, in Le Monde, 24/12/2010
 

Posté par charles tatum à 19:44 - Commentaires [4] - Permalien [#] Tags : bouyxou, cinéma, duras, nécro, rauger, rollin
Jean Rollin, cinéaste par Jean-François Rauger
 
[JPB me signale la parution, dans Le Monde, de la nécro de Jean Rollin par notre compère Jean-François Rauger. Comme tout le monde n'a pas l'insigne bonheur d'être abonné au journal des Trois-Magnats, je lui pique son texte. Pourquoi ? Parce que l'article est un véritable hommage, parce qu'on aime sa sobriété, sa précision et son érudition, autant que l'absence remarquable de superlatifs inutiles. Vive Jean Rollin !
Vive le cinéma de Jean Rollin !]
06 octobre 2015
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